À 20 ans, à Barcelone, j'avais pris l’habitude de fréquenter le marché des « Enchantés » dans le quartier de l'Eixample. J'étais attirée compulsivement par le refuge d'un antiquaire bien particulier. Un amateur lunatique de vieux papiers, livres d'art anciens, peintures et dessins anonymes.
Je m'y trouvais un jour, effilochée par ma curiosité, lorsque je vis une série de papiers accompagnée de photographies argentiques en noir et blanc. Les documents se trouvaient en vrac dans plusieurs cartons à dessin. À première vue, c'était des affiches arrachées, plutôt récentes. Mais sur l’une des faces, il y avait comme gravé dans le papier, le fantôme d'une plante sans fleurs, sans aucun atour.
Intriguée, j'interrogeais le marchand sur ces curiosités, qui récita - faussement affairé et sans grands détails - cette histoire d'un anonyme accablé qui les lui déposa – peut-être il y a dix ans, voila – en se justifiant que « ce genre de recherche n'aboutira à rien », et qu’ « au moins, c’est des beaux dessins, ça plaira ».
Mais c’était un artiste ?
Non, il les a cueillies, il m’a dit. J’en ai vendu quelques-uns…. Ça plaît...
J'étais décidée, non pas à rechercher celui qui les avait laissées s'échouer dans la poussière — impossible, pas de nom — mais à élucider le mystère de ces représentations qui, pour certaines, avaient même effacé l'encre du support initial pour s'y loger dessus.
C'est à la bibliothèque d'Humanités, dans la zone Universitaire de Barcelone, que je trouvais matière à en révéler la nature, en feuilletant le traité de Botanique parallèle. Dans ce traité tout récent, on distingue les plantes ordinaires de celles ayant subi une «parallèlelisation » par le fait qu'elles s'épanouissent dans « deux qualités du réel » différentes.
Ces dernières «plongent leurs racines, non dans les mottes familières de la terre, mais dans un humus onirique très lointain dont, de par leur existentialité, elles tirent des sucs éthérés échappant à toute mesure» (Léo LIONNI, La botanique parallèle, Pandora éditions, Clamecy. 1981)
Ci-dessus, le bâtiment de l'institut.
De retour en France, je demandais à rencontrer le chercheur Jacques DURIEUX pour lui faire part des curiosités que je conservais alors depuis un an. Fort intéressé par la chose, il me conseilla d'envoyer les spécimens à I'IIPHEMAL (Institut International de Phénoménologies Malherbeuses). Cet institut réunit les savants qui se préoccupent de l'étude des objets (de la pensée en général ou de l'environnement paysager dans une civilisation) comportant les symptômes suivants ; spontanéité, déviance, expansion massive, incontrolabilité et indésirabilité. Il est divisé en départements spécialisés dans l'étude de chaque médium utilisé par ces phénomènes pour se manifester.
Pour ce qui est des « dessins-plantes » recueillies ici, le département de "Phénoménologie Plastique" travaille en étroite collaboration avec bon nombre d'experts en botanique parallèle qui observent les recoupements de caractères organiques entre les médiums plastiques et les représentations végétales.
Il est parfois difficile de repérer un phénomène malherbeux tellement il peut être discret. Ci-dessus, voici quelques spécimens relevés sur les murs de Toulouse. Jamais vus avant mon départ pour Barcelone...
Lorsqu’à I'IIPHEMAL, on fut averti de ma découverte, on me pria de la léguer, ce que je fis.
Laissés entre les mains de la science, ils font maintenant l’objet d'analyses incompréhensibles pour moi. Mais lorsque je les avais, en effectuant des recherches annexes sur les mauvaises herbes, j'ai maintenant l'impression d'avoir parcouru — l'espace d'un instant — un monde parallèle où la réalité est au service de la fiction.
En 2005, en guise de remerciement pour la donation, I'IIPHEMAL a accepté de présenter au public une partie des pièces trouvées. Le Musée Urbain Cabrol CABROL (Villefranche-de-Rouergue, Aveyron), source d'informations scientifiques et culturelles, convenait le mieux pour révéler cette nouvelle branche de la Science.
Ci-contre, au musée Urbain CABROL, la salle dédiée au travail de Jean-Louis Marc ALIBERT (1768-1837), originaire de Villefranche-de-Rouergue et fondateur de l'École française de dermatologie.
Archives incomplètes, en cours de restauration...